Aucune excuse, aucune sanction, soutien total à M. Letchimy

Aucune excuse, aucune sanction, soutien total à M. Letchimy

Quand on commence à hiérarchiser entre les civilisations, sur les degrés de "l'inférieur " et du "supérieur", on entre dans une dérive vers les pires horizons. La négation du principe d’égalité entre les civilisations et, il n'y a qu'un pas, entre les êtres humains constitue la condition nécessaire aux grands crimes d'Etat que furent la Traite, l'esclavage, les colonisations, le système des camps de concentration, les apartheids, les génocides ou les purifications ethniques et qui aujourd'hui encore occupent la vie du monde.

 

Dès lors, les déclarations répétées du ministre de l'intérieur de la France ne sauraient relever d'une simple stratégie électorale, mais d'un état d'esprit, voire d'un semblant de pensée. Derrière, se dessinent l'auréole du discours de Dakar, les chroniques de la chasse aux enfants immigrés alentour des écoles, les velléités de police génétique contre les regroupements familiaux, la traque honteuse des Roms, le spectre du ministère de l'identité nationale, le grondement régulier des charters expéditifs, les quotas d'expulsions prédéfinis et célébrés, le renvoi des étudiants étrangers, et même la fragilisation systématique des immigrés en situation régulière qui, en ce moment, dès trois heures du matin, affrontent les glaciations devant les préfectures... En face d'une telle convergence, on croirait voir de grandes ailes qui s'ouvrent pour un sinistre envol.

 

M. Letchimy a donc vu juste et a dit ce qu'il fallait dire comme il fallait le dire, reprenant à son compte ce qui avait déjà été exprimé en 1950, dans le Discours sur le colonialisme d’Aimé Césaire, qui avait si magistralement démonté les prémisses coloniales de l’avènement du nazisme.

 

Et, il a fait honneur à la France et à son Assemblée Nationale toute entière. Car enfin, sans lui, le "célébrant des civilisations supérieures" serait venu, se serait assis, aurait écouté on ne sait quelle politiquerie, et serait reparti sans que rien ni personne ne lui trouble la conscience. Il suffit d'imaginer que, dans les bancs derrière lui, soient assis, Clémenceau, Hugo, Lamartine ou Jaurès, pour mesurer ce qu'il aurait manqué à cette haute assemblée si M. Letchimy n'avait pas été là. Il aurait manqué le courage. Il aurait manqué la lucidité. Il aurait manqué une vision exigeante de l'homme et du rapport que les humanités peuvent nourrir entre elles !

 

C'est un débat essentiel et profond. Nous y voyons l'affrontement majeur entre deux visions du monde et deux conceptions du vivre-ensemble dans le respect que l'on doit à la diversité des humanités. Nous y voyons une controverse radicale qui relève au plus haut point de l'éthique contemporaine, laquelle est une éthique complexe et dont il faut à tout moment penser le déploiement. Nous y voyons le souci de dresser un rempart commun contre cette barbarie qui est déjà venue et qui peut revenir. Que vaut une assemblée parlementaire où on se révèle incapable de discuter de ces fondamentaux-là ? Que vaudrait une Assemblée Nationale qui s'aviserait de sanctionner (de quelque manière que ce soit) ce qui la ramène aux fondements des valeurs républicaines et aux lumières de Montaigne, de Montesquieu, de Voltaire, de Lévi-Strauss, de Césaire ?

 

Sanctionner M. Letchimy, ou même en caresser l'idée, reviendrait à les sanctionner tous, et à laisser la porte ouverte à ces très vieilles ombres qui nous fixent sans trembler.

 

* Nous remercions M. Patrick Chamoiseau d'avoir accepté que nous utilisions la tribune qu'il a publiée dans le Monde.fr le 10/02/2012 pour écrire cette pétition.


Patrick Chamoiseau, Jean-Luc Bonniol, Bénédicte Monville-De Cecco    Contacter l'auteur de la pétition